1. Une défense « libre »⊠mais sans limite ?
Dans le cadre dâun procĂšs prudâhomal, chaque partie est
libre de présenter sa version des faits.
Cette libertĂ© de parole de lâavocat est protĂ©gĂ©e par lâarticle 41 de la loi du
29 juillet 1881 sur la liberté de la presse :
« Ne donneront lieu à aucune action les discours
prononcés ou écrits produits devant les tribunaux. »
Autrement dit, les propos tenus Ă lâaudience ou dans les
conclusions bĂ©nĂ©ficient dâune immunitĂ© absolue.
MĂȘme lorsquâils contiennent des inexactitudes, des insinuations, ou des
affirmations manifestement fausses, ils ne peuvent donner lieu Ă poursuites
pénales pour diffamation ou injure.
Cette immunitĂ© est censĂ©e garantir la libertĂ© de dĂ©fense â mais elle a dĂ©rivĂ©
en une zone dâimpunitĂ© quasi totale.
2. Le Code de déontologie protÚge-t-il encore la vérité ?
Les avocats sont pourtant soumis à une obligation de probité
et de loyautĂ© (article 1.3 du RĂšglement IntĂ©rieur National â RIN) :
« Lâavocat exerce ses fonctions avec dignitĂ©, conscience,
indépendance, probité et humanité. »
Mais dans les faits, les sanctions disciplinaires sont rares,
lentes et trÚs modérées.
Les ordres dâavocats protĂšgent souvent leurs pairs, surtout lorsque les Ă©carts
ont lieu dans le cadre dâune plaidoirie.
Il faut quâun mensonge soit flagrant et accompagnĂ© dâune fraude caractĂ©risĂ©e
pour espérer une sanction. Autant dire : presque jamais.
3. Une faille du systĂšme : la vĂ©ritĂ© nâest pas
obligatoire
Contrairement Ă un tĂ©moin ou un expert, lâavocat nâest
pas tenu de dire la vérité.
Son rĂŽle est de dĂ©fendre les intĂ©rĂȘts de son client, pas de relater les faits
objectivement.
Le juge prudâhomal lui-mĂȘme ne sanctionne pas le mensonge : il lâapprĂ©cie
simplement à travers la crédibilité des piÚces et des arguments.
Dans la pratique, cela signifie quâun avocat peut nier une piĂšce existante, prĂ©tendre quâun fait ne sâest jamais produit, ou accuser lâautre partie de mensonges⊠sans risquer autre chose quâun haussement de sourcil du juge.
4. Conséquence : une
asymétrie de pouvoir
Pour un salarié sans avocat ou mal défendu, cette latitude
devient une arme redoutable :
- Les
contre-vĂ©ritĂ©s peuvent influencer le juge, surtout lorsquâelles paraissent
âprofessionnellesâ.
- Les
justiciables sans connaissance juridique sont démunis pour rétablir les
faits.
- MĂȘme
en prouvant la faussetĂ© dâune allĂ©gation, aucune sanction nâintervient
: ni pour lâavocat, ni pour son client.
RĂ©sultat : lâhonnĂȘtetĂ© devient un handicap dans certaines procĂ©dures prudâhomales.
5. Comment y remédier ?
Des pistes existent :
- RĂ©former lâarticle 41 de 1881 pour lever
partiellement lâimmunitĂ© lorsque des mensonges matĂ©riels sont Ă©tablis.
- Renforcer le contrĂŽle disciplinaire des barreaux via
des autorités extérieures (et non corporatistes).
- Former les juges prudâhomaux Ă identifier les
manipulations procédurales.
- Et surtout : créer une traçabilité complÚte des échanges (courriels, piÚces déposées, versions des conclusions) pour éviter les falsifications et omissions.
6. En bref
Le âdroit au mensongeâ des avocats nâexiste pas
officiellement.
Mais dans les faits, il rĂ©sulte dâune combinaison dâimmunitĂ© judiciaire, de
corporatisme professionnel et dâinertie disciplinaire.
Cette situation nourrit un sentiment dâinjustice croissant chez les
justiciables, en particulier dans les affaires prudâhomales, oĂč les enjeux
humains sont forts et les moyens limités.